Association Médiévale Romande - Valorisation du patrimoine médiéval suisse romand

La bataille d’Azincourt, 25 octobre 1415

2. La bataille d’Azincourt : 25 octobre 1415

2.1. Composition des armées

2.1.1. Effectifs

Selon différents chroniqueurs, nous remarquons un rapport d’effectif en faveur des troupes françaises[1]. Ainsi, le Bourgeois de Paris, par exemple, ne donne pas de chiffre, mais indique que « étaient les Français plus la moitié qu’Anglais »[2], ce qui veut dire qu’il y avait selon lui une fois et demie plus de Français. Les chroniques tant françaises qu’anglaises s’accordent sur cette supériorité numérique française, à l’exception notable de Guillaume Gruel dans sa Chronique d’Arthur de Richemont[3]. En revanche, les rapports de forces présentés varient grandement, comme le montrent les deux exemples suivants : dans le camp anglais, l’auteur anonyme de la Gesta Henrici Quinti souligne le nombre « terrifiant » de ses adversaires et les estime à environ trente fois plus nombreux[4], tandis que le chroniqueur français (Bourguignon) Enguerrand de Monstrelet ne mentionne que six fois plus de Français[5]. Ainsi, on peut analyser cette variation en supposant que les auteurs anglais, en particulier lorsqu’ils écrivent à la gloire du roi, vont chercher à mettre en avant le ratio défavorable pour que la victoire d’Henri V paraisse encore plus éclatante.

Le nombre de combattants selon les sources est sujet à des variations qui peuvent être très importantes : pour l’armée française, le Religieux de Saint-Denis évoque 14’000 hommes, Monstrelet plus de dix fois plus (150’000), et pour l’armée anglaise, Juvénal des Ursins détaille entre 4’000 hommes d’armes et 16 à 18’000 archers. Pour leur part, les anglais Elmham et Capgrave évoquent exactement les mêmes chiffres (le second, plus tardif, a probablement recopié son prédécesseur) : « What an amazing turn of events ! it is said that there were 7’000 on the king’s size, and 60’000 on the French. Yet the victory was given to the English »[6]. Une fois encore, cela leur permet de souligner leur victoire inattendue et improbable. La Gesta procède de même, en insistant sur un autre élément, la maladie, qui a tué plus d’hommes que les batailles, et a réduit l’armée de Henri V : il lui resterait quelques 900 lances et 5’000 archers[7]. On remarque des tendances, par exemple les auteurs français proposent moins souvent d’estimations sur les effectifs, en particulier pour leur propre camp, car cela serait admettre que la faveur était de leur côté, tandis que leurs homologues anglais vont minimiser leurs effectifs et exagérer ceux de l’adversaire[8].

Face aux effets de narration des chroniques, les historien·ne·s ont longtemps débattu de la question des effectifs. La recherche actuelle s’appuie sur les sources financières, un meilleur indicateur[9] : plutôt que le rapport traditionnel de 3:1 pour les Français, Curry propose ainsi celui de 3:2, soit environ 12’000 Français contre 8’000 Anglais[10]. La supériorité numérique française est toujours présente, mais bien moins importante que dans certains récits de la bataille. Cette estimation se base sur plusieurs éléments. Pour le côté français, des taxes de la fin du mois d’août 1415 indiquent une armée de 6’000 hommes d’armes et de 3’000 gens de trait, et on peut y ajouter d’autres hommes qui ont répondu à l’appel royal en septembre pour atteindre le nombre de 12’000[11]. Pour l’armée anglaise, les contrats préparés en vue du départ d’Angleterre au début du mois d’août permettent d’estimer l’armée à 12’00 hommes à ce moment-là[12]. Des rapports comptables après le retour donnent une indication des soldats qui n’ont jamais atteint Azincourt, par exemple ceux qui sont morts avant, ou qui ont été laissés en garnison à Harfleur après la prise de la ville (300 hommes d’armes et 900 archers), ce qui fait un total d’environ 8’000 à 8’500 hommes[13].

[1] Voir tableau en annexe, p. 31.
[2] Journal d’un Bourgeois de Paris, op. cit., p. 87-88.
[3] CURRY, The battle of Agincourt: sources..., op. cit., p. 11.
[4] Gesta Henrici Quinti, op. cit., p. 34.
[5] MONSTRELET, op. cit., p. 104.
[6] CAPGRAVE, op. cit., p. 77.
[7] Gesta Henrici Quinti, op. cit., p. 27.
[8] CURRY, The Battle of Agincourt : sources, op. cit., p. 11.
[9] CURRY Anne, PÉPIN Guilhem, et TAYLOR Craig, « The French army at the battle and its commanders, in CURRY et MERCER, op. cit., p. 164.
[10] BENNETT, chap. cit., p. 90.  D’autres avancent des chiffres un peu différents, par exemple 15'000 Français et 7'000 Anglais dans BOVE Boris, BIGET Jean-Louis et al., Le temps de la Guerre de Cent Ans: 1328 - 1453, Paris : Belin, 2009, (Histoire de France), p. 256.
[11] CURRY, « The French Army... », chap. cit., p. 164. Contamine, lui, estime l’armée française à 9'000 hommes d’armes et 4 à 5'000 gens de trait. BLANCHARD Anne et CONTAMINE Philippe (éds.), Histoire militaire de la France, Paris : Presses universitaires de France, 1992, p. 178.
[12] CURRY Anne, « Preparing for war », in CURRY et MERCER, op. cit., p. 76.
[13] CURRY Anne et MERCER Malcolm, « The English army at the battle and its commanders », in CURRY et MERCER, op. cit., p. 179.

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