Association Médiévale Romande - Valorisation du patrimoine médiéval suisse romand

La bataille d’Azincourt, 25 octobre 1415

2.3.2. Commandement français divisé

Comme cela a déjà été brièvement évoqué, un des problèmes rencontré par l’armée française à Azincourt, et qui peut avoir joué un rôle dans sa défaite, est un commandement mal organisé, qui n’a pas pu mettre en place une stratégie efficace. Ils ont ainsi été considérés comme arrogants, mal organisés, mauvais combattants, etc., mais la critique a posteriori est toujours aisée, et les tactiques mises en place sont complexes et pas toujours comprises des historien·ne·s[1]. Le plan de bataille retrouvé par Phillpotts ne semble pas avoir été suivi : la charge de cavalerie destinée à briser l’assaut des archers échoue (au lieu des mille hommes prévu, ils ne sont que 160)[2], dispersant les hommes à pied qui doivent avancer vers l’ennemi, tandis que les gens de trait, du moins ceux qui n’ont pas été congédiés avant la bataille, sont relégués à l’arrière, les rendant inefficaces. Contamine souligne que la stratégie française n’était pas un « échec inévitable », ou un suicide programmé, mais qu’il aurait fallu la mener avec « plus de détermination » et « moins d’appréhension » pour un succès[3].

Le Religieux de Saint-Denis est particulièrement prompt à fustiger l’attitude des commandants et des soldats français. Il nous dit par exemple que les cavaliers qui devaient disperser les archers anglais « lâchèrent pied à leur éternelle honte, laissèrent leurs chefs seuls au milieu du danger […] se replièrent en toute hâte […] et épandirent l’effroi et l’épouvante parmi leurs compagnons »[4]. De plus, il estime que les nobles se sont laissés emporter par l’ « ardeur de la jeunesse », écartant les conseils des plus âgés et expérimentés pour « adopter l’avis le moins sage » dans la formation de leurs bataillons, et se précipitant à l’attaque – pour lui, c’est dû soit à l’ignorance, soit à la traîtrise de certains[5]. Dans le ton moralisateur qui lui est propre, il va jusqu’à prendre le Ciel à parti dans ses lamentations :

En l’absence du roi de France et de messeigneurs les ducs de Guyenne, de Berri, de Bretagne et de Bourgogne, les autres princes s’étaient chargés de la conduite de cette guerre. Il n’est pas douteux qu’ils ne l’aient terminée heureusement, s’ils n’avaient pas engagé brusquement la bataille, malgré l’avis des chevaliers les plu recommandables par leur âge et par leur expérience. Telle fut, vous le savez, ô Jésus, notre souverain juge, qui lisez au fond des cœurs, telle fut la cause première de ce malheur, auquel je ne puis songer sans verser des larmes, et qui couvrit la France et ses habitants de honte et de confusion.[6]

Dans cet extrait, l’absence du roi est notée : c’est une différence de taille par rapport à l’armée anglaise, menée par Henri V lui-même, car ce dernier a à cœur de prouver la légitimité de sa lignée par ses victoires militaires et se montre des plus fermes dans son commandement[7].

Cependant, il faut garder à l’esprit le contexte et les buts de rédaction des différentes chroniques, ainsi que les allégeances de leurs auteurs, pour apprécier de manière critique les reproches adressés à l’armée française. En effet, dans le contexte de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, le duc de Bourgogne Jean Sans Peur a été écarté du commandement des troupes, pour éviter de lui donner le contrôle d’une grande armée. Par conséquent, ce dernier montre clairement qu’il s’attend à une défaite du parti en charge[8], et ses partisans ne se gênent donc pas pour critiquer le commandement principalement armagnac. En plus du Religieux de Saint-Denis, on retrouve cette tendance chez d’autres auteurs bourguignons ou pro-bourguignons[9], par exemple le Bourgeois de Paris, qui met en doute la loyauté des combattants capturés: « et disait-on communément que ceux qui pris étaient n’avaient pas été bons ni loyaux à ceux qui moururent en bataille »[10]. L’armée française, déchirée par la guerre civile, n’est pas unie face aux anglais, et il y a de nombreuses sources qui soulignent et critiquent l’usage cynique qu’a fait Henri V de ce manque de cohésion[11]. Sans aller jusqu’à dire que les divisions politiques ont été « le contexte la cause, et l’effet » de la défaite[12], il apparait donc qu’elles y ont contribué.

[1] BENNETT, chap. cit., p 97.
[2] LE FÈVRE DE SAINT-RÉMY, op. cit., p. 199.
[3] BLANCHARD et CONTAMINE, op. cit., p. 178-179.
[4] Le Religieux de Saint-Denis, op. cit., p. 39.
[5] Ibid., p. 38
[6] Ibid., p. 37.
[7] CURRY, « Preparing for war », chap. cit., p. 84.
[8] SCHNERB Bertrand, « The kingdom of France on the eve of the battle of Agincourt », in CURRY et MERCER, op. cit., p. 34-35.
[9] CURRY, The Battle of Agincourt : sources... op. cit., p. 13.
[10] Journal d’un Bourgeois de Paris, op. cit., p. 89.
[11] SCHNERB, chap. cit., p. 35.
[12] CURRY, The Battle of Agincourt : sources... op. cit., p. 13.

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