Association Médiévale Romande - Valorisation du patrimoine médiéval suisse romand

La bataille d’Azincourt, 25 octobre 1415

2.1.2. Typologie

Au-delà de leur nombre, il est parfois difficile de se faire une idée du type de soldats présent sur un champ de bataille médiéval. Le Religieux de Saint-Denis évoque « toutes sortes d’armes »[1], mais les sources ne différencient en général que deux catégories de combattants : les hommes d’armes et les gens de trait (archers)[2]. On retrouve cette dénomination dans une endenture de 1415 : « Et aura Thomas avec lui, à ce voyage, par l’année entière, six hommes d’armes, lui-même compté, et 18 archers à cheval »[3]. De manière générale, les contingents anglais contenaient les deux types de soldats (on les appelle des retenues mixtes, mixed retinues), tandis que les Français étaient plus spécialisés[4]. Mais la composition théorique des effectifs ne permet pas toujours de savoir comment cela se passait : même dans les troupes mixtes, il est difficile de savoir si archers et hommes d’armes combattaient vraiment en concordance[5]. De plus, les catégories restent peu spécifiques, et recouvrent des types de soldats très différents de par leur équipement et leur rang social, auxquels il faut encore ajouter les armes à feu, dont on a des témoins pour Azincourt du côté français[6] (les « canons » et « ribaudequins » mentionnés par Monstrelet[7]) – nous ne y attarderons pas, car c’est une question très complexe.

Ainsi, les hommes d’armes – à cheval, mais qui combattaient aussi à pied – étaient en général des combattants entraînés à l’exercice de plusieurs armes[8]. Parmi celles-ci, on peut notamment citer l’épée, arme emblématique et redoutable, mais qui requière de la place de manœuvre. Le Religieux, parmi d’autres sources, souligne que les rangs français à Azincourt ont expérimenté des problèmes à ce niveau[9]. Il y a aussi les nombreuses armes d’hast, qui ont comme point commun leur long manche, notamment la lance de chevalier d’une longueur de quatre mètres, qui était parfois raccourcie pour le combat à pied[10], et différents modèles de haches et de marteaux, très utiles pour pénétrer les armures[11]. En effet, au début du XVe siècle, l’équipement défensif passe par l’armure de plates (harnois complet), faite de plaques de métal bombées pour mieux protéger des coups et des traits[12], souvent avec des éléments de maille pour combler les trous[13]. Si, malgré les idées reçues, l’armure reste un équipement mobile, elle a posé problèmes aux Français à Azincourt à cause de la terre molle et détrempée, comme l’explique Le Fèvre :

Or d’autre part les Français étaient si chargés de harnois qu’ils ne pouvaient avancer. Premièrement étaient armés de cottes d’acier longues, passant les genoux et moult pesantes. Et par-dessous harnois de jambes ; et par-dessus blancs harnois ; et de plus bassinets de camail. Et tant pesamment étaient armés, avec la terre qui était molle, comme dit est, à grand-peine pouvaient-ils lever leurs bâtons.[14]

La catégorie des « gens de trait » recouvre principalement les archers (du côté anglais) et les arbalétriers (du côté français)[15]. Leur ratio varie grandement entre les deux armées, ce qui constitue une différence essentielle : presque pas mentionnés chez les Français[16], ils sont beaucoup plus nombreux chez les Anglais, puisque les retenues mixtes présentent en général trois archers pour un homme d’armes, sans compter trois compagnies composées uniquement d’archers[17]. Cette composition permet de faire des économies, car les archers, moins payés, sont aussi plus légèrement armés que les hommes d’armes. Ils n’ont par exemple pas d’armure, mais juste une protection pour la tête et le corps[18], souvent de toile et de cuir[19]. A l’époque d’Azincourt, les archers anglais sont souvent montés, comme le montre l’endenture de Thomas Tunstalle[20]. Du côté français, on retrouve aussi des archers, mais surtout des arbalétriers, par exemple des milices urbaines[21] : le Religieux de Saint-Denis mentionne notamment un contingent de 4’000 d’entre eux, mais qui ont été congédiés la veille de la bataille[22]. Les gens de trait ont leur arme principale (arc ou arbalète), ainsi que diverses armes d’appoint, comme des couteaux, haches, fauchons, massues de plomb, etc.[23]

[1] Le Religieux de Saint-Denis, op. cit., p. 40.
[2] BOVE et al. différencient les gens d’armes, à cheval et lourdement armés, et les gens de pied, parmi lesquels les fantassins et les gens de trait.. BOVE Boris, BIGET Jean-Louis et al., Le temps de la Guerre de Cent Ans: 1328 - 1453, Paris : Belin, 2009, (Histoire de France), p. 72-75.
[3] CONTAMINE, Azincourt, op. cit. p. 184.
[4] CURRY, « Preparing for war », chap. cit., p. 78, et CURRY, PÉPIN et TAYLOR, « The French army... », chap. cit. p. 158.
[5] CURRY et MERCER, « The English army... », chap. cit., p. 181.
[6] WOOSNAM-SAVAGE Robert C., « 'All kinds of weapons' : the weapons of Agincourt », in CURRY et MERCER, op. cit., p. 153-154.
[7] MONSTRELET, op. cit., p. 101.
[8] CURRY, « Preparing for war », chap. cit., p. 78.
[9] Le Religieux de Saint-Denis, op. cit., p. 40. WOOSNAM-SAVAGE, chap. cit., p. 139.
[10] WOOSNAM-SAVAGE, chap. cit., p. 142-143
[11] Ibid., p. 146. FINÓ J.F., « Les armées françaises lors de la guerre de cent ans », Gladius 13, 1977, p. 12.
[12] WOOSNAM –SAVAGE, chap. cit., p. 138.
[13] RICHARDSON Tom et WATTS Karen, « Armour at the time of Agincourt », in CURY et MERCER, op. cit., p. 110.
[14] LE FÈVRE DE SAINT-RÉMY, op. cit., p. 196.
[15] FINÓ, art. cit., p. 13.
[16] BLANCHARD et CONTAMINE, op. cit., p. 178.
[17] CURRY, The Battle of Agincourt : sources..., op cit., p. 421-422. Voir aussi CURRY, « Preparing for war », chap. cit., p. 81.
[18] Ibid., p. 78-81.
[19] FINÓ, art. cit., p. 18.
[20] CONTAMINE, Azincourt, op. cit. p. 184.
[21] WOOSNAM –SAVAGE, chap. cit., p. 147.
[22] Le Religieux de Saint-Denis, op. cit., p. 38-39.
[23] Ibid., p. 150-151. Pour la mention des massues en plomb, voir le Religieux de Saint-Denis, op. cit., p. 40.

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