Association Médiévale Romande - Valorisation du patrimoine médiéval suisse romand

La bataille d’Azincourt, 25 octobre 1415

2.1.3. Composition sociale

Comme la plupart des armées médiévales, celles présentes à Azincourt ne sont ni standardisées, ni permanentes : elles ont donc été levées spécifiquement en vue de la campagne de 1415[1]. Mais la manière de le faire diffère entre les deux camps, tout comme la représentation des différents corps sociaux (qui se reflète dans la typologie des armées, car l’équipement est à la charge du soldat[2]). Chez les Français, la noblesse est très représentée : en effet, elle ne paye pas d’impôts en échange du service militaire qu’elle doit au roi, et est normalement tenue de lui fournir des troupes suivant le rang et les moyens de chacun. Le Duc de Bourgogne – qui ne doit pas venir en personne à cause de sa querelle avec les autres nobles – doit par exemple fournir 500 hommes d’armes et 300 archers[3]. Le mode de recrutement le plus répandu est la « semonce des nobles », qui informe la noblesse de la levée d’une armée. Ceux qui ne servent pas en personne doivent payer une taxe[4], mais les réponses restent imprédictibles[5]. La chronique de Monstrelet, qui rapporte le texte d’un tel mandement du roi, nous renseigne sur les mesures prises pour obtenir le service demandé, qui peuvent aller jusqu’à la confiscation des biens[6]. De nombreuses autres sources soulignent la grande représentation de la noblesse, ainsi que sa concentration dans l’avant-garde : « ils se persuadaient que la vue de tant de princes frapperait les ennemis de terreur et leur ferait perdre courage »[7].

En Angleterre, cela se passe différemment. A part sa place de commandement, le rôle de la noblesse n’est guère différent de celui des hommes d’armes issus de la gentry – excepté au niveau du prestige, et donc du salaire[8]. Plutôt que des nobles tenus de rendre un service, la plupart des soldats anglais s’engagent volontairement. On assiste à un développement professionnel qui commence dès le XIIe siècle et s’intensifie par la suite, et dont l’attraction repose sur les gages garanties pour une durée déterminée, et la promesse d’une part du butin[9]. Les archers y sont particulièrement représentés, et sont souvent listés sous le qualificatif de yeomen (vilains), ce qui d’après Curry indique que leur statut social dérive de leur service militaire[10]. Les contrats (endentures) sont le plus souvent individuels, et signés de la main du roi : ainsi, le dénommé Thomas Tunstalle promets de fournir sa retenue de « six hommes d’armes, lui-même compté, et 18 archers à cheval […] en lieu qui de par notre seigneur le roi lui sera assigné, dedans le mois de mai prochain venant »[11]. Après avoir conclu une endenture avec le roi (et touché une partie de la solde, sans laquelle on ne peut espérer lever des troupes), les contractants pouvaient ensuite à leur tour conclure les sous-endentures pour composer leur retenue. Les méthodes de recrutement suivent ainsi les réseaux sociaux, familiaux et professionnels, chacun recrutant autour de lui dans sa maison[12].

Les rapports entre gens de la noblesse et gens du commun ne sont pas forcément harmonieux, surtout du côté français, comme le montrent les sources. Pour certains, ce serait même un élément expliquant la défaite. Ainsi, Juvénal des Ursins raconte comment le connétable d’Albret et le maréchal Boucicaut souhaitaient s’appuyer sur les communes, mais que d’autres nobles, par exemple les ducs d’Alençon et de Bourbon, considéraient cela inutile, car les Anglais étaient suffisamment affaiblis[13]. D’autres sources sont plus ambivalentes : le Religieux de Saint-Denis condamne l’arrogance de certains chevaliers qui ont recommandé au roi de refuser l’aide d’un contingent urbain, ou qui ont renvoyé des arbalétriers, mais il estime tout de même que c’est « une double honte, une double ignominie, que de se laisser battre par des gens sans mérite et sans naissance »[14]. Certain·e·s historien·ne·s soulignent la pression sociale sur les chevaliers français, guidés par la bravoure et l’honneur au détriment du professionnalisme qui les pousserait à accepter l’appui des soldats communs. Au contraire de cette attitude de dédain, les Anglais ont une approche beaucoup plus pragmatique. Nous l’avons vu, la guerre est pour eux plus affaire de business que de devoir, d’où peut-être une plus grande motivation, et la différence de rang n’empêche pas de travailler ensemble, d’autant que la valeur éprouvée des archers les rend indispensables sur le champ de bataille[15].

[1] CURRY, « Introduction », in CURRY et MERCER, op. cit., p. xiv.
[2] BOVE, BIGET et al., op. cit., p. 75.
[3] JUVENAL DES URSINS, op. cit., p. 514-516.
[4] BOVE Boris, BIGET Jean-Louis et al., op. cit., p. 79.
[5] CURRY, PÉPIN et TAYLOR, « The French army... », chap. cit. p. 158-159.
[6] MONSTRELET, op. cit., p. 90-92.
[7] Le Religieux de Saint-Denis, op. cit., p. 38.
[8] CURRY, « Preparing for war », chap. cit., p. 78.
[9] ALLMAND C. T. (éd.), Society at war: the experience of England and France during the Hundred Years War, Rochester, N.Y : Boydell Press, 1998, (Warfare in history), p. 77.
[10] CURRY, « Preparing for war », chap. cit., p. 81.
[11] CONTAMINE, Azincourt, op. cit. p. 184.
[12] CURRY, « Preparing for war », chap. cit., p. 82-84.
[13] JUVÉNAL DES URSINS, op. cit., p.  518.
[14] Le Religieux de Saint-Denis, op. cit., p. 41.
[15] STRICKLAND Matthew, « Chivalry, piety and conduct », in CURRY et MERCER, op. cit, p. 45.

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