Association Médiévale Romande - Valorisation du patrimoine médiéval suisse romand

La bataille d’Azincourt, 25 octobre 1415

1.3. Présentation des sources

Les sources mentionnant la bataille d’Azincourt sont très nombreuses, chez les contemporains comme dans les siècles qui ont suivi, et tant chez les Français que chez les Anglais[1]. Néanmoins, comme Curry l’exprime, malgré, et peut-être même à cause de cette abondante littérature, il est difficile de se faire une idée de ce qu’il s’est passé ce vendredi 25 octobre 1415[2]. Pour notre part, nous nous sommes concentrés sur des sources écrites entre le début de l’année 1415 et le milieu du XVe siècle, et donc relativement proches temporellement. Elles sont principalement issues des chroniques françaises et anglaises, car ce type de littérature est à la fois abondant et facile d’accès. Pour autant, il faut garder à l’esprit que les auteurs ont des buts de rédaction qui peuvent varier, et qui ne sont en tout cas pas de « juste » raconter ce qui s’est passé. Il y a un contexte et un message spécifique, ce qui explique que toutes les sources ne mentionnent pas les mêmes éléments[3]. Il est par conséquent pertinent d’en utiliser plusieurs afin de croiser leurs informations.

En ce qui concerne les chroniques françaises, nous avons en premier lieu regardé le Journal d’un Bourgeois de Paris, écrit par un clerc malgré son nom, mais sa mention de la bataille d’Azincourt est des plus brèves[4]. Nous avons donc complété avec d’autres chroniques, notamment celles d’Enguerrand de Monstrelet, successeur autoproclamé de Froissart, de Jean Le Fèvre de Saint-Rémy, qui était lui-même présent à Azincourt[5], et de Perceval de Cagny, gentilhomme au service des ducs d’Alençon[6]. Outre ces auteurs pro-bourguignons, nous avons aussi utilisé des chroniqueurs d’obédience armagnaque, tel Jean Juvénal des Ursins, avocat parisien, et son Histoire de Charles VI, roy de France[7], ou encore Guillaume Gruel, un Breton qui centre son texte sur Arthur de Richemont, l’un des nobles faits prisonniers à l’issue de la bataille[8]. Enfin, une dernière source intéressante du côté français est le Religieux de Saint-Denis : s’il est difficile de se prononcer sur la contemporanéité des événements qu’il relate, on peut néanmoins noter un souci historiographique chez cet ecclésiastique, ainsi que l’usage de la première personne pour exprimer une appréciation à connotation souvent religieuse ou morale[9].

Les chroniques anglaises permettent d’apporter une autre vision du même événement, celle des vainqueurs. Il est intéressant de noter que trois des quatre sources utilisées sont rédigées en latin, car leurs auteurs sont des ecclésiastiques (comme le Religieux de Saint-Denis), alors que les chroniqueurs français sont surtout des laïcs. Il y a aussi une différence dans la conception de l’histoire : si le Brut en moyen anglais s’inscrit dans la lignée des récits fondateurs de l’Angleterre[10], les autres sont clairement axé autour de la personne du roi Henri V, et à sa gloire, comme le révèlent leurs titres. La Gesta Henrici Quinti est souvent considérée comme fiable parce que rédigée très peu de temps après la bataille par un prêtre qui accompagnait l’armée anglaise[11] ; le Liber Metrico de Henrico Quinto de Thomas Elmham, moine de Cantorbéry et membre de l’ordre de Cluny, dont la compilation est datée de 1418, semble en dériver largement[12]. Enfin, le dernier auteur anglais est Thomas Capgrave, dont l’éloge du roi Henri V est rédigée un peu plus tardivement, entre 1446 et 1453[13].

Pour indispensables que soient les chroniques, elles ne sont pas toujours les sources les plus adéquates, en raison, nous l’avons vu, de leur orientation, ainsi que de leur dimension mythique. Il faut donc les compléter par des sources documentaires et administratives[14], même si ces dernières sont souvent plus difficiles d’accès, notamment en termes d’édition. Nous n’en avons utilisées que deux, mais d’autres sont citées dans la littérature secondaire à laquelle nous nous référons. En premier lieu, nous avons eu recours au texte d’une endenture (contrat) conclue entre le roi d’Angleterre et un homme d’armes, qui s’engage à lui fournir des troupes[15] : ce document est très utile pour se rendre compte de la manière dont les armées sont recrutées par Henri V. En second lieu, nous avons considéré un des plans de batailles français de la campagne de 1415, retrouvé et édité par Phillpotts dans les années 80 en Angleterre[16]. Il permet d’apprécier les éléments stratégiques mis en place, ainsi que la différence entre la théorie et la pratique du champ de bataille.

[1] On peut ici souligner que les sources matérielles sont, paradoxalement, presque inexistantes. Sutherford, qui a mené des fouilles archéologiques sur le lieu-dit du champ de bataille en 2002 et 2007, va jusqu’à affirmer : « there is currently still no recorded physical evidence of the battle ever taking place! ». SUTHERLAND Tim, « The Battlefield », in CURRY Anne et MERCER Malcolm (éds), The Battle of Agincourt, New Haven and London : Yale University Press in association with Royal Armouries, 2015, p. 201.
[2] CURRY Anne, The battle of Agincourt: sources and interpretations, Woodbridge, Suffolk, UK ; Rochester, NY, USA : Boydell Press, 2000, (Warfare in history), p. 470.
[3] Ibid., p. 21.
[4] Journal d’un Bourgeois de Paris de 1405 à 1449, BEAUNE Colette (éd.), Paris : Le Livre de Poche, 2009 (19901), (Lettres gothiques), p. 85-89, 92, 139, 153.
[5] MONSTRELET Enguerrand de, La chronique d'Enguerran de Monstrelet : en deux livres, avec pièces justificatives : 1400-1444. Tome III (1414-1420), DOUET D’ARCQ Louis (éd.), Paris : Veuve de Jules Renouard, 1857-1862, (Société de l’histoire de France), p. 78-132. Consulté sur Gallica. Voir aussi CURRY, The battle of Agincourt : sources... op. cit., p. 135-136. Le second s’est en fait largement inspiré du premier. Néanmoins, nous l’avons utilisé car certains extraits en français moderne, plus facile à comprendre, sont présents dans CONTAMINE Philippe, Azincourt, Paris : Gallimard, 2013, (Folio Histoire 209), p. 195-203.
[6] CAGNY Perceval de, Chroniques de Perceval de Cagny (1393-1438), MORANVILLE Henri (éd.), Paris : Renouard, Henri Pierre Laurens, 1902, (Société de l’histoire de France), p. 18, 20-21, 24, 69, 94-102, 138. CURRY, The battle of Agincourt : sources..., op. cit., p. 120.
[7] JUVENAL DES URSINS Jean, Histoire de Charles VI, roy de France, et des choses mémorables advenues durant quarante-deux années de son règne : depuis 1380 jusqu’à 1422, MICHAUD Joseph-François et POUJOULAT Jean-Joseph-François (éds.), Paris : Editeur du commentaire analytique du Code civil, 1836, p. 506-524. Consulté sur Gallica. CURRY, The battle of Agincourt : sources..., op. cit.,  p. 128.
[8] GRUEL Guillaume, Chronique d'Arthur de Richemont, connétable de France, duc de Bretagne (1393-1458), LE VAVASSEUR Achille (éd.), Paris : Renouard, Henri Pierre Laurens, 1890, (Société de l’histoire de France), p. 15-19, 129. Consulté sur Gallica. CURRY, The battle of Agincourt : sources..., op. cit.,  p. 182.
[9] Le Religieux de Saint-Denis, Chronique du règne de Charles VI: 1380-1422. Tome VIII (1415-1418), DESGRUGILLERS-BILLARD Nathalie (éd.), Clermont-Ferrand : Paleo, 2008, (L’encyclopédie médiévale), p. 34-51. CURRY, The battle of Agincourt : sources..., op. cit., p. 8, 100.
[10] Brut en moyen anglais, extraits cités par CURRY, The battle of Agincourt: sources..., op. cit.,  p. 89-96.
[11] Gesta Henrici Quinti, extraits cités par CURRY, The battle of Agincourt: sources..., op. cit., p. 22-40.
[12] ELMHAM Thomas, Liber Metricus de Henrico Quinto, extraits cités par CURRY, The battle of Agincourt: sources..., op. cit.,  p. 40-48.
[13] CAPGRAVE John, De Illustribus Henricis, extraits cités par CURRY, The battle of Agincourt: sources..., op. cit.,  p. 75-78.
[14] BENNETT Matthew, « The Battle of Agincourt », in CURRY et MERCER, op. cit., p. 90.
[15] Endenture conclue entre Henri V et Thomas Tunstalle, 29 avril 1415, extrait traduit par CONTAMINE, Azincourt, op. cit. p. 183-186. Les endentures doivent leur nom à leur format spécifique : le texte du contrat est rédigé à double puis le parchemin est découpé en forme de dents, et chaque contractant en conserve une moitié, qui peuvent être comparées en cas de litige. CURRY, The Battle of Agincourt : sources...op. cit., p. 409-410.
[16] PHILLPOTTS Christopher (éd.), « The French Plan of Battle during the Agincourt Campaign », The English Historical Review, 99 (390), 1984, p. 59-66.

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