Association Médiévale Romande - Valorisation du patrimoine médiéval suisse romand

Escrime de Spectacle et Arts Martiaux Historiques Européens

Les 16 et 17 novembre 2013 s'est déroulé un stage de combat médiéval à Lausanne. Ce cours a été donné par Michael Müller-Hewer à la salle d'armes du club d'escrime de la ville. Certains membres de l'AMR ont eu l'occasion d'y participer et souhaitent vous faire part de quelques échanges qui ont eu lieu durant l'évènement.

Stage de Combat Médiéval ; quelques armes

Stage de Combat Médiéval ; quelques armes

 

Le stage s'est bien déroulé et a connu un grand succès. Tout au long du weekend, on pouvait sentir une grande motivation des participants, accompagnée par une très belle qualité d'intervention de la part du maître d'armes qui a su allier avec finesse l'escrime de spectacle et les Arts Martiaux Historiques Européens.

Deux thématiques ont donc été soigneusement traitées pour le plus grand bonheur des amateurs de combat théâtral et historique : les intéressés ont eu l'occasion d'apprendre quelques principes fondamentaux pour comprendre et pratiquer l'escrime selon Joachim Meyer (1537-1571), tout en y ajoutant une pointe de théâtralité pour finir dimanche après-midi par de petits combats scéniques avec spectateurs.

Afin de partager notre expérience de ce stage, nous avons mené deux entretiens, le premier avec Michael Müller-Hewer, l'organisateur et enseignant du stage, et le second avec Claude Dupasquier, un participant, par ailleurs membre de la Garde du Mont-Gibloux.

Nous avons tout d'abord demandé au maître Müller-Hewer quelle peut être la relation entre l'escrime de spectacle et le monde des AMHE ? A cela, il nous a répondu qu'il y a plus de monde qui pratique l'escrime de spectacle que les AMHE, qui sont à un niveau qu'on peut encore qualifier de confidentiel. Il estime le nombre de pratiquants en Suisse bien inférieur à celui de la France et que les clubs "purs et durs" (recherche, travail sur les textes, reconstitution des mouvements) sont rares dans la région.

Mais alors que les clubs sont pour le moment peu répandus, nous lui demandons ce qu'il pense de l'association Clair de Lame, qui, à nos yeux, a su associer l'aspect théâtral avec celui des AMHE. Nous apprenons alors que Thomas Schmutziger (fondateur de Clair de Lame) a été l'un de ses élèves, et qu'ils ont longtemps travaillé ensemble, notamment dans la compagnie "Revivance". Aujourd'hui, Clair de Lame s'investit aussi dans la recherche équestre en prenant notamment en compte les détails de reconstitution des costumes ainsi que le harnachement. Maître Müller-Hewer estime que c'est l'un des rares groupes qui travaillent sur le combat équestre en Europe (il en connait un autre au sud de l'Allemagne).

Pour moi, qui viens de l'escrime de spectacle, j'ai découvert une richesse de gestuelle : l'escrime c'est un art de geste. J'ai entamé mon parcours par le spectacle de rue avec acrobatie, avant d'entrer dans une école de mime et de suivre une formation de danseur. C'est là que j'ai découvert l'escrime, dans cette école de mime où peu à peu l'escrime a pris la place de la danse. Je suis quelqu'un de très pictural, je réfléchis et je construis dans les images, et de là viens ma fascination pour l'escrime, qui est pour moi quelque chose d'hyper visuel. C'est une beauté du geste.

Par contre, il y avait en France une rétention de l'information par des maîtres d'armes qui avaient investi dans quelques recherches, et donc avaient quelques connaissances et les distribuaient au compte-goutte aux gens qu'ils choisissaient. Ils avaient tendance à utiliser ce savoir pour assouvir leur pouvoir sur les escrimeurs, notamment dans l'académie d'armes de France, où il y avait un ramassis de vieux maîtres d'armes qui étaient très attachés à la maxime : « honneur aux armes, respect au maître », mais eux ne respectaient absolument pas les escrimeurs. Ce décalage me dérangeait et c'est ce qui m'a poussé à chercher autre chose. A partir de là j'ai donc commencé à chercher et j'ai découvert une richesse de la gestuelle qu'on n'utilise plus aujourd'hui, parce que l'escrime a pris une autre évolution. Ce n'est pas que l'escrime sportive est quelque chose de fondamentalement différent, ce n'est pas qu'on a arrêté l'évolution pour faire autre chose, c'est une transformation petit à petit qui amène aujourd'hui très logiquement à l'escrime de sport qu'on pratique. On a alors abandonné une grande recherche de geste et c'est par cette idée-là que je suis entré dans le domaine des AMHE : c'est cette richesse de gestes qui ne sont plus utilisés mais qui peuvent être représentés dans un spectacle pour créer la surprise, un éblouissement, des images qu'on n'a pas l'habitude de voir.

Maître Michael Müller-Hewer

Il évoque également les difficultés d'associer le théâtre aux arts martiaux historiques européens, car pour faire une mise en scène, il faut travailler par chorégraphie. Cela peut prendre de dix à vingt heures d'entraînement rien que pour une seule minute de combat. Cette durée est justifiée par les différentes étapes que sont la construction de l'idée, la logique du combat, et l'entrainement pour apprendre chaque mouvement par coeur. Il faut également mettre en place des déclencheurs pour que chaque action se fasse au bon moment, sinon il y a des risques d'accidents.

Beaucoup de travail est donc nécessaire pour réaliser un spectacle. Mais alors jusqu'où doit tendre le réalisme d'une chorégraphie ? Faut-il reprendre les techniques historiques telles quelles ?

Entretien avec Claude Dupasquier

Qu'est-ce qui t'as amené à participer à ce stage ?

Je suis venu avec des amis de la Garde du Mont-Gibloux qui suivent des cours d'escrime artistique au Cercle des Armes de Lausanne. Mais j'avais déjà participé à un cours de Michael [NDLR : Müller-Hewer] auparavant et cela m'avait beaucoup plu car il touchait à l'aspect historique du combat médiéval.

Il y a beaucoup d'escrime médiévale çà et là sur Fribourg, et notre groupe en fait également. On fait du combat romantique, ce qui veut dire que nous essayons du mieux que nous le pouvons de reprendre des bases historiques, mais en apprenant aussi des techniques pour se défendre, des parades modernes, pour arriver à quelque chose qui allie la défense et l'attaque.

Quelles étaient tes attentes et es-tu satisfait ?

Pour moi il s'agissait de voir et revoir des bases historiques, et de m'en inspirer pour pratiquer dans l'École du Cerf de la Garde du Mont-Gibloux, où je suis précepteur d'armes. Je suis très satisfait du weekend car on a revu plein de mouvements, comme les coups de maître.

Ton point de vue sur les AMHE en Suisse Romande ?

Mon espérance est que cela se développe dans chaque canton, et qu'il y ait plus de structure pour l'instruction. J'aimerais qu'il y ait, comme dans tout autre secteur sportif, une organisation avec des sections (clubs), cantons, régions, et ensuite au niveau national. Il nous faut une fédération, car à présent, la personne qui s'intéresse à ce genre d'activité ne sait pas toujours sur quel pied danser, et qui aller voir.

Ça dépend ce qu'on veut faire, et du spectacle en soi, annonce notre interlocuteur. Il est donc possible de rendre un spectacle très réaliste, cependant, maître Müller-Hewer estime que la vie est déjà tellement réelle, que "les trucs qu'on voit aux infos sont tellement réels", qu'il faut trouver dans le spectacle justement de quoi partir dans l'imagination.

Enfin, nous lui avons montré le schéma d'une balance pour savoir combien "pèsent" les AMHE dans le spectacle. C'est à 75% de spectacle et 25% d'AMHE qu'il juge le dosage. Il nous avoue que le combat dans les AMHE n'est pas vraiment esthétique et assez complexe à placer dans un contexte de présentation. En effet, c'est le spectateur qui va voir l'oeuvre et il doit pouvoir comprendre ce qu'il se passe sinon il perd tout intérêt. Il faut alors ajouter de l'humour, du texte, et c'est à travers le spectaculaire que les AMHE viennent tout de même soutenir l'animation.

Après cette modeste intervention sur un monde à mi-chemin entre les arts martiaux historiques européens et le théâtre, nous nous penchons sur l'affiche du stage.

Nous pouvons y lire que "Les écoles d'escrime allemande du XVe et XVIe siècle enseignaient un style de combat fondamentalement offensif". Après avoir creusé le sujet, voici ce qui en ressort. En partant de la période celte, on découvre que l'usage du bouclier (avec l'épée à une main) était fondamental, mais l'épée va, avec le temps, prendre le dessus pour être utilisée à deux mains. Cependant, il sera plus difficile de se protéger de manière passive, il faudra aller à la rencontre de l'adversaire et devenir offensif. Ainsi, l'attaque deviendrait la meilleure défense...

On va donc chercher à prendre l'initiative et à la maintenir. Quant à l'adversaire, il ne va pas se défendre directement, mais plutôt chercher à reprendre à son tour l'initiative. Si certains pensent à ce moment qu'on en arrive à de l'escrime contemporaine, c'est faux. Alors qu'aujourd'hui les mouvements se composent d'attaques, de parades et de ripostes, il n'y avait rien de tel dans l'escrime de Joachim Meyer, où on usera surtout de la contre-attaque (attaquer alors que l'on se fait attaquer). Malgré cette attitude offensive - qui pourrait laisser penser à du rentre-dedans - il y a quand même une réflexion qui accompagne l'action. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui un temps d'escrime, qui s'exprime à travers le vor, le nach et le indes d'une action.

 Quelques sources présentées lors du stage

Quelques sources présentées lors du stage

Maître Müller-Hewer nous explique également qu'à partir du XIVe siècle, on trouve des écoles d'escrime en Allemagne (et certainement ailleurs). Dans ce nouveau cadre d'escrime, nous ne sommes plus dans du combat strictement militaire, mais plutôt dans un loisir, et donc un nouvel environnement où les personnes ne sont pas protégées, mais ne veulent pas non plus se blesser. C'est pourquoi on adapte le style d'escrime avec de nouvelles armes et des mises en gardes particulières. On développe alors une escrime salle d'arme qui devient un jeu: si on reste toujours offensif, on commence aussi à jouer avec l'adversaire. On se met à travailler les phrases d'armes, les actions concrètes, des enchainements qu'on va exercer et faire entrer dans la tête. Voilà qui ressemble fortement à ce qui se fait en spectacle !

Ces écoles d'escrime n'avaient cependant pas une bonne réputation. En effet, les salles d'armes de la fin du XVe siècle ne sont pas forcément des écoles comme aujourd'hui, ce sont des lieux publics où les gens se rencontrent pour discuter et faire des armes, avec souvent un débit de boisson. Il y a aussi des endroits de spectacle où les gens s'affrontent dans des animations qui rappellent le catch contemporain, ainsi que des affrontement pour maitriser l'autre, montrer ce qu'on sait faire. Bref, des lieux de débauche, qui inquiétaient fortement les autorités : de nombreuses tentatives ont d'ailleurs été menées pour les fermer.

Nous terminerons ces explications sur quelques moments du stages enregistrés en vidéo :